(attention… texte en cours de travail, suggestions bienvenues…. merci)
Face à ceux qui ont le monopole de la violence légale et légitime, nous sommes souvent désarmés, sans défense ou indéfendables. La question n’est pourtant pas d’être ou de ne pas être violent, mais d’être offensif ou inoffensif. On ne commence à lutter vraiment que lorsqu’on cesse d’être inoffensif. En Europe de l’Ouest, la « question de la violence » est généralement une diversion. À l’instar du terme « terroriste », c’est un adjectif utilisé selon des intérêts politiques spécifiques. La question centrale est plutôt celle du discours majoritaire sur la violence et de l’opération politique que cache souvent l’usage du terme, en permettant de construire un acte comme violent ou non selon les intérêts. Ainsi bombarder la Lybie ou la Syrie, en tuant des gens de toutes sortes, a pu être considéré comme une action quasi « humanitaire », tandis que casser quelques vitrines de banques ou du mobilier urbain est considéré comme violent. Dans ces discours dominants, on ne parle jamais de la violence institutionnelle, économique, symbolique, raciste, machiste, sociale, policière, administrative, judiciaire… à laquelle la violence politique ou dite « criminelle » répond le plus souvent, s’associant plutôt à des pratiques d’auto-défense.
Juger de ce qui est violent ou pas dépend de comment les actes incriminés sont construits et perçus.
Tant que nous continuons à en parler, notamment en terme moraux ou idéologiques, nous n’affrontons pas les problèmes stratégiques posés, entre autres, par les manifestations. Dans ces dernières, et pour peu que l’on en espère une évolution des rapports de force, l’un des enjeux y est de briser les dispositifs (policiers) de maintien de l’ordre des choses. Mais c’est également une question stratégique cruciale d’apparaître violent ou pas selon les situations.
Il peut paraître paradoxal de lancer un cycle sur la violence politique alors que nous considérons la « question de la violence » comme une question qui empêche de se poser les bonnes questions. Ce qui se trame autour de ce terme-là pousse à se justifier, à s’expliquer en se définissant comme non-violent, à refuser des complicités et des alliances, se dissocier, dénoncer sur la base du chantage à être du bon côté…
L’idée est donc de fabriquer quelques ressources pour saper la charge morale du terme et l’opération de neutralisation qu’il sert. Notamment en allant voir du côté de contrées où le rapport à la violence ne se pose pas de la même manière qu’ici.
Quelques notes sur la spécificité des violences policières dans le contexte belge
En mai 2018, une petite fille de 2 ans était tuée d’une balle dans la tête par un policier près de Mons lors d’une course-poursuite, 20 ans après le meurtre de Sémira Adamu (demandeuse d’asile nigériane de 20 ans qui a été étouffée avec un coussin par les policiers qui l’escortaient dans l’avion lors de son expulsion). Le policier en question savait que la camionnette était remplie de personnes qui n’avaient pas de papiers en règle, et qu’il y avait des enfants à l’intérieur. Il justifie son acte en disant qu’il visait le pneu du camion lancé à grande vitesse sur l’autoroute, mais que le coup a été dévié par une embardée. Le tir qu’il comptait faire aurait probablement tué la plupart des personnes présentes dans la camionnette dans l’accident qui aurait suivi.
Un an plus tôt, Sabrina et Wassim, poursuivis pour excès de vitesse sur leur moto près de l’avenue Louise, ont été fauché par une voiture de police qui s’est mise en travers de leur route à la sortie du tunnel, provoquant un accident mortel, l’un tué sur le coup, l’autre morte dans l’ambulance quelques temps après. Les meurtres policiers ou, disons, les « décès suite à des violences policières » ne sont pas rares, nous n’entendons parler que de ceux pour lesquels les proches des victimes ont décidé de porter plainte ou de se manifester publiquement.
À Charleroi, le 15 septembre 2014, Youssef Tariki, l’un des nombreux « suicidés » en garde à vue, se serait pendu avec ses chaussettes, tandis que Dieumerci Kanda, mort quelques mois plus tard dans un cachot du commissariat d’Anderlecht, l’aurait fait avec son t-shirt.
Souleymane J. Archich avait 14 ans quant à lui, lorsqu’il est mort écrasé par une rame de métro à Molenbeek suite à un contrôle de police. La minute fatidique où il s’est « retrouvé » sur les voies est la seule partie de la bande vidéo des caméras de surveillance endommagée par un « problème technique » ; elle n’est donc pas utilisable pour le procès.
C’est également les 12 minutes de vidéo « problématiques » qui ont disparu des caméras du commissariat de Molenbeek où Moad a été tabassé le 11 janvier 2013, à l’âge de 14 ans.
Il faudrait encore de nombreuses pages pour aborder tous les faits connus de tabassage ou de violences policières quotidiennes et de tortures blanches en prison vécues par les Noirs, les Arabes ou les personnes migrantes racisées ; qu’elles aient fait ou non l’objet de poursuites.
Chacun de ces drames, sans parler des nouvelles lois et mesures qui les suscitent et les légitiment, nous laisse souvent avec ce mélange d’écœurement, de colère et d’évidence : « cette fois, un seuil est franchi, ce n’est plus possible, il va se passer quelque-chose, il faut qu’il se passe quelque-chose ». Comme la mort de Mawda, qui semblait être, après les rafles, la criminalisation et l’expulsion des migrants sans-papiers, la ligne rouge qui allait faire chuter ce gouvernement et permettre un retournement de la situation.
Or la tactique qui mène aux habituels acquittements des policiers et blanchiment des responsables politiques reste immuable et étrangement efficace malgré les degrés d’horreur qui ne semblent plus cesser de grimper : on utilise les habituelles charges de rébellion et d’outrage qui auraient été commis par les personnes en cause, ou le discours sur la difficulté d’assurer la sécurité de tous sans quelques regrettables dommages collatéraux liés à la « gestion des populations à risque ». Un racisme profondément ancré dans les pratiques institutionnelles offre l’impunité aux responsables de ces violences. De même que la longue et méthodique construction des minorités et récalcitrants comme des profils à risque pour « la société », leur permet de s’en sortir avec une manifestation ou quelques indignations publiques d’emblée disqualifiées et laissant peu de traces à grande échelle. Un permis de tuer se joue dans ce recours systématique aux arguments de la légitime défense et de la sécurité.
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