avec des travailleuses de services d’aide à la jeunesse et des chercheuses en criminologie:
Sarah et Mélodie du service spécialisé du Tamaris, Alice de l’AMO de NOH du quartier Versailles à Neder, Jenneke Christiaens, de la VUB, spécialisée dans la Justice pour mineurs.
Avec cette rencontre, nous proposons à nos invitées de mettre à l’épreuve cette hypothèse: est-ce que la justice pour mineurs pourrait être le « cheval de Troie » de l’abolition pénale, ou du moins d’une réduction de l’emprise des logiques pénales, en Belgique ?
Quand nous nous sommes risquées à cette hypothèse, nous pensions à l’autonomisation juridique de peuples autochtones de Nouvelle-Zélande et du Canada (autonomisation qui a commencé par la justice pour mineurs), tout en gardant en tête que les situations sont incomparables.
Au fur et à mesure de nos recherches, nous avons quelque peu déchanté, mais il nous semble tout de même important d’y voir plus clair sur l’impact du pénal (police, justice, placements en IPPJ ou autre), sur les familles et sur le secteur de l’aide à la jeunesse en Belgique, de recueillir une cartographie et une histoire des rapports de force qui animent ces champs-là, et d’avoir une idée des alternatives existantes, manquantes ou à venir dans la prise en charge des mineurs, qu’ils soient ou non auteurs de faits qualifiés d’infractions.
Nous cherchons aussi à compiler des exemples de ressources, personnelles ou institutionnelles, utiles au quotidien ou dans des situations d’urgences, qui permettent d’éviter le recours aux logiques sécuritaires.
Quelles forces et influences ont transformé progressivement la prise en charge des mineurs, dans et en-dehors des logiques pénales?
Quelles sont les différentes revendications qui traversent ce secteur?
Quels liens entre la logique protectionnelle officielle, la volonté éducatrice, la punition et la privation de liberté?
À l’heure où la Belgique s’intéresse à l’instauration d’une justice scolaire, telle que mise en place en France – calquée sur le fonctionnement de la justice d’État plutôt que sur le travail des liens inter-individuels et communautaires –, l’enjeu est de faire exister d’autres perspectives, et de déceler les alliances possibles, afin de contrer cette fuite en avant sécuritaire.
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19h – Accueil
19h30 – Prises de paroles des invitées
20h30 – Débat
Organisé par NLP et des membres de la CLAC dans le cadre du cycle de programmation « Abolition pénale? »
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BREF HISTORIQUE
Au 20ème siècle, les mineurs arrêtés pour des faits qualifiés d’infractionnels tombent sous la loi de protection de l’enfance (1912) basée sur le modèle de la défense sociale: l’enfant n’est pas responsable de ses actes, il s’agit donc de le (ré)éduquer.
Cette logique protectionnelle s’accroît dans les années 60 et s’étend aux mineurs « en danger », les deux catégories cohabitant dans les mêmes institutions, notamment les placements en IPPJ (Institutions Publiques de Protection de la Jeunesse). À partir de cette période, un mineur de 16 ans peut être dessaisi (traité comme un majeur), l’idée étant de prendre une mesure “choc” de 15 jours en prison pour susciter une prise de conscience. L’État belge a été condamné de nombreuses fois à Strasbourg pour ces pratiques.
Dans les années 70, la logique protectionnelle est remise en cause dans certains milieux scientifiques, par des avocats et des actrices de terrain: c’est la même logique que le pénal mais en pire. Sous couvert d’un langage protectionnel, des mineurs sont arrachés à leurs familles, qui ne savent pas pour combien de temps, n’ont pas de possibilités de recours, donc ne peuvent pas se défendre et ne savent pas à quoi s’attendre. Ces voix plaident pour passer du régime protectionnel au régime pénal réservé aux adultes, pour permettre à minima une protection juridique et préserver le droit du mineur. Tout un mouvement de défense du droit des mineurs se met en place, principalement côté néerlandophone. Dans la lignée post-68, le mot d’ordre est “Les jeunes sont sujets de droit, et pas objets de droit”. Mais qui dit “sujet de droit” dit responsabilité de ses actes. Côté francophone, le secteur continue de défendre la logique d’aide à la jeunesse plutôt que le régime de sanction, quant bien même elle a des effets pervers, avec l’idée de pallier ces effets.
Parallèlement l’État est pointé du doigt car il investit trop dans les lits et le “fermé”, et pas suffisamment dans les milieux ouverts et le lien avec la communauté.
Années 80. Austérité. Lois Gols. Revirement néo-libéral. Puis réforme et communautarisation de la Belgique.
Toujours sous la logique protectionnelle, le secteur se divise en deux circuits: l’aide à la jeunesse (SAJ) qui travaille sur base volontaire, et la protection de la jeunesse (SPJ) qui travaille sur base contrainte. En 1983, l’obligation scolaire passe de 14 à 18 ans et a pour conséquence la création des “écoles poubelles du professionnel” que sont les CEFA.
Des changements effectifs suivent les remises en cause portées dans les années 70 mais pour des raisons différentes: le passage du protectionnel au pénal est porté par une tendance droitisante mettant en avant la sanction, les droits et les devoirs, avec un discours sur la délinquance et le laxisme du régime protectionnel. Quant les libéraux réalisent que les lits et les milieux fermés coûtent plus cher que les milieux ouverts et le travail communautaire, ils affectent différemment les financements.
Les années 90 s’ouvrent avec les émeutes urbaines de mai 91, suivies la même année des élections du “novembre noir” avec la percée du Vlaams Block qui joue la carte “jeunes immigrés = délinquants”. La violence est progressivement dépolitisée, perçue comme individuelle et associée à la jeunesse populaire, qui fait l’objet de tout un ensemble d’expériences sécuritaires. Le Fédéral crée les contrats de prévention et de sécurité (cf Wathelet et le pacte citoyen) qui touche le même public que le secteur de l’aide à la jeunesse, pour la plupart en décrochage scolaire. La « guerre » entre le volet sécurité et le volet social durera 10 ans. Les contrats de sécurité font principalement de l’occupationnel et du contrôle social (mauves, APS, etc) sur base de boulots précaires pour de jeunes diplômés en sciences sociales, et utilisent les mannes fédérales pour investir dans la brique (maisons de quartier, “revitalisation” de territoire). Tandis que l’aide à la jeunesse vise à changer le jeune en citoyen et à activer et élargir son réseau communautaire, notamment avec les AMO (Aide en Milieu Ouvert).
En 2006, la loi sur les pratiques réparatrices est votée. Elle vise à promouvoir les « sanctions alternatives » à tous les stades de la procédure, en faisant des logiques restauratrices une priorité de principe, et en visant à responsabiliser les familles. Pour autant elle favorise le durcissement des réponses pour certains mineurs « délinquants » soumis au droit pénal ou renvoyés en Cour d’Assises.
Dix ans après l’entrée en vigueur de cette loi, elle reste sous-utilisée et appliquée de manière faible et très disparate en fonction des arrondissements judiciaires.